mai 2015 | LEXBASE

L'illégalité d'un contrat de partenariat prononcée en matière précontractuelle

Les arrêts du Conseil d'Etat en matière de procédure de passation de contrat de partenariat sont rares, c'est pourquoi celui du 29 avril 2015, indiquant qu'un contrat comportant une tranche ferme limitée à des prestations d'étude, et une tranche conditionnelle, dont l'affermissement est à la décision du pouvoir adjudicateur, ne saurait constituer la mission globale déterminant l'existence d'un contrat de partenariat mérite d'être étudié avec la plus grande attention afin d'en mesurer les apports.

En l'espèce, un syndicat de valorisation de déchets a lancé une procédure de dialogue compétitif en vue de la conclusion d'un contrat de partenariat ayant pour objet la conception, la construction, le financement partiel, la mise en service, une partie de l'entretien et la maintenance d'une plateforme environnementale multifilière de traitement des déchets ménagers et assimilés.

Il est à noter que l'intérêt de l'arrêt rapporté est qu'il passe par la voie du référé précontractuel pour se prononcer sur la légalité du contrat de partenariat lui-même (III), qu'il rappelle le pouvoir du juge des référés en matière d'annulation (I), et vient confirmer sa jurisprudence en matière d'intérêt à agir du requérant et de respect du contradictoire (II).

I — Les pouvoirs du juge en matière d'annulation

Le juge des référés dispose, aux termes de l'article L. 551-2 du Code de justice administrative (N Lexbase :
L8943IUR), de pouvoirs extrêmement larges en matière de référé précontractuel, ceux-ci vont de l'injonction à l'annulation en passant par la suspension de tout ou partie des éléments d'une procédure de passation

A titre préliminaire, il est important de rappeler que ces pouvoirs sont différents de la suspension automatique de la signature du contrat résultant de la saisine du juge des référés, imposée par l'article L. 551-4 du même code (N Lexbase : L1601IEZ). Cette suspension perdure jusqu'à la date de la notification de l'ordonnance au pouvoir adjudicateur.

A cette date, d'autres mesures de suspension peuvent se substituer à cette suspension automatique : celles-ci résultent du pouvoir souverain du juge des référés.

Cela rappelle la difficulté générée par la fin automatique de la suspension de la signature du contrat prévue par l'article L. 551-4 précité, laquelle prive, en pratique, le requérant dont la demande d'annulation aura été rejetée d'un second degré de juridiction (1). Il appartient à celui-ci, s'il le souhaite, de faire un recours en contestation de la validité du contrat, mais il perdra la possibilité de faire annuler le contrat dans le cadre d'une procédure d'urgence.

C'est dans ce cadre que l'article L. 551-2 du Code de justice administrative prévoit la possibilité, et non l'obligation, pour le juge "[d']ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et [de] suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages".

Ainsi, par exemple, le juge a-t-il le pouvoir d'enjoindre de réexaminer les offres, et, dans l'attente de ce réexamen, de suspendre la signature du marché.

Cependant, le Conseil d'Etat, dans l'arrêt rapporté, ne se prononce, en réalité, pas sur les mesures de suspension susceptibles d'être prises par le juge des référés.

Il rappelle simplement que la modulation des pouvoirs du juge des référés au regard de l'existence d'un intérêt public ne s'applique qu'aux mesures de suspension ou d'injonction et non pas en cas d'annulation de la procédure de passation attaquée.

En l'occurrence et dès lors que le manquement relevé était de nature à justifier l'annulation de la procédure de passation du contrat, il n'y avait pas lieu pour le juge des référés d'examiner l'existence, ou non, d'un intérêt public.

Le juge des référés doit dont prononcer l'annulation d'un contrat lorsque les conditions d'une annulation sont réunies, et ce, même s'il estimait que, "en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages".

II — Intérêt à agir et respect du contradictoire

L'arrêt du 29 avril 2015 rappelle deux points importants en matière de référé précontractuel, l'un concerne l'intérêt à agir d'une société n'ayant pas répondu ; l'autre, l'appel dans la cause des entreprises composant le groupement momentané d'entreprise qui était l'attributaire pressenti.

a) Les articles L. 551-1 et L. 551-10 (N Lexbase : L6258I38) du Code de justice administrative précisent que l'intérêt à agir s'apprécie au regard de la nécessité d'un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence, ainsi que celui d'un intérêt à conclure le contrat et le risque d'être lésé par les manquements invoqués, et ce, conformément à une jurisprudence maintenant constante du Conseil d'Etat.

Dans l'arrêt commenté, le Conseil d'Etat confirme sa jurisprudence en rappelant que toute personne est recevable à agir "lorsqu'elle a vocation, compte tenu de son activité, à exécuter le contrat, y compris lorsqu'elle n'a pas présenté de candidature ou d'offre si elle en a été dissuadée par les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence qu'elle invoque" (2).

Dans le cas d'espèce, la société requérante avait présenté sa candidature et été admise à présenter une offre. Elle a renoncé à présenter une offre en constatant les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence compris dans les documents de la consultation.

C'est donc à juste titre que le Conseil d'Etat, conformément à sa jurisprudence antérieure, a admis l'intérêt à agir de la société X, en considérant que celle-ci avait été lésée par les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence constatés, ainsi qu'ils seront examinés ci-après.

b) Les entreprises constituant le groupement momentané d'entreprise pressenti pour l'attribution du contrat n'ont pas été appelées à la procédure par le juge des référés du tribunal administratif de Basse-Terre. Aussi, le syndicat de valorisation des déchets ayant lancé le contrat a-t-il invoqué que cela constituait un manquement au respect du principe du contradictoire rappelé par l'article 6 de la CESDH (N Lexbase : L7558AIR).

Cependant, le Conseil d'Etat a balayé cet argument.

En effet, si la pratique veut que l'attributaire pressenti soit habituellement appelé dans les procédures de référé précontractuel, il n'en reste pas moins qu'il n'est pas mis en cause directement puisque, à ce stade, il n'est pas titulaire du contrat dont la procédure est attaquée.

Seule la procédure mise en place par le pouvoir adjudicateur est alors attaquée. Et aucun texte n'impose que l'attributaire pressenti soit partie à l'instance.

Aussi et dès lors que c'est bien la procédure en tant que telle qui est attaquée et non l'appréciation des offres faite par le pouvoir adjudicateur ou encore l'interprétation des documents de la consultation faite par les candidats, l'attributaire n'est mis en cause d'aucune façon. Il n'a donc pas vocation à être partie à une procédure alors que, non seulement, il n'est pas partie au contrat, mais, en outre, il ne dispose d'aucun moyen pour défendre une procédure élaborée par le pouvoir adjudicateur.

Il faut s'interroger sur le point de savoir si le Conseil d'Etat en aurait jugé autrement dans un cas dans lequel le requérant aurait mis en cause la rédaction d'un CCTP et ses difficultés d'interprétation par les candidats. Il est vraisemblable que dans un tel cas, l'intervention à l'instance de l'attributaire pressenti qui aurait eu une bonne compréhension du CCTP participerait du respect du contradictoire au sens de l'article 6 de la Convention.

En tout état de cause, si le groupement momentané d'entreprise pressenti comme attributaire du contrat de partenariat avait souhaité intervenir volontairement à la procédure, il n'aurait pu le faire que si le pouvoir adjudicateur l'avait informé de l'existence de la procédure puisqu'aucun texte n'impose une telle information.

III — Sur la nécessaire mission globale du contrat de partenariat

Si quelques arrêts ont eu à se prononcer, au fond, sur la justification du recours au contrat de partenariat, et ainsi vérifier si les conditions de recours à un tel contrat dérogatoire étaient réunies (3), l'arrêt du 29 avril 2015 est le seul qui a eu à se prononcer sur la légalité du contrat de partenariat et, en particulier sur la notion de "mission globale", et ce, dans le cadre d'une procédure de référé précontractuel.

La question soumise au juge des référés du tribunal administratif de Basse-Terre était celle de savoir si :

- le contrat de partenariat était irrégulier ;

- et si cette irrégularité avait une conséquence sur la régularité de la procédure de passation.

La procédure du syndicat de valorisation des déchets prévoyait que le contrat de partenariat ayant pour objet la conception, la construction, le financement partiel, la mise en service, une partie de l'entretien et la maintenance d'une plateforme environnementale multifilière de traitement des déchets ménagers et assimilés (PETDMA) comprenait deux tranches :

- une tranche ferme sur la prestation globale relative aux études de conception de la PETDMA, en ce compris l'établissement des dossiers de demande des autorisations administratives ;

- et une tranche conditionnelle sur la prestation globale relative aux études d'exécution, à la construction, à la mise en service ainsi qu'à une partie de l'entretien / maintenance des installations composant la PETDMA.

La société requérante soutenait que la tranche ferme ne comprenait pas les missions obligatoires d'un contrat de partenariat, ce qui entraînait l'irrégularité du contrat de partenariat dans son entier, et donc l'irrégularité de la procédure de passation.

Le tribunal administratif de Basse-Terre a pris le soin de rappeler que l'affermissement de la tranche conditionnelle restait subordonné à une décision du syndicat, et que les concurrents ne pouvaient présenter une variante qui aurait comporté l'ensemble des composantes d'une mission globale.

Le Conseil d'Etat, quant à lui, a repris le texte, extrêmement clair, de l'article L. 1414-1 du Code général des collectivités territoriales (N Lexbase : L9479IC3), lequel précise que "le contrat de partenariat est un contrat administratif par lequel une collectivité territoriale ou un établissement public local confie à un tiers, pour une période déterminée en fonction de la durée d'amortissement des investissements ou des modalités de financement retenues, une mission globale ayant pour objet la construction ou la transformation, l'entretien, la maintenance, l'exploitation ou la gestion d'ouvrages, d'équipements ou de biens immatériels nécessaires au service public, ainsi que tout ou partie de leur financement à l'exception de toute participation au capital [...]. Il peut également avoir pour objet tout ou partie de la conception de ces ouvrages, équipements ou biens immatériels ainsi que des prestations de services concourant à l'exercice, par la personne publique, de la mission de service public dont elle est chargée [...]". (4).

Cet article définit la composition d'une mission globale. Le seul point susceptible d'en être écarté est précisément la partie conception. Or, dans le cas d'espèce, la tranche ferme du contrat de partenariat porte uniquement sur les études de conception. Il est donc tout à fait clair que cette tranche ferme n'est pas susceptible de constituer une mission globale au sens de l'article L. 1414-1 précité.

Quant à la tranche conditionnelle, celle-ci reste conditionnelle tant qu'elle n'a pas été affermie par le pouvoir adjudicateur. Celui-ci peut ne jamais l'affermir.

Aussi, la légalité du contrat de partenariat doit-elle être examinée au regard de la seule tranche ferme.

Le Conseil d'Etat a donc fait très simplement une application de l'article L. 1414-1 du Code général des collectivités territoriales pour constater l'illégalité du contrat de partenariat qui lui était soumis, sans pour autant remettre en cause la possibilité d'introduire dans un contrat de partenariat une tranche ferme et des tranches conditionnelles, sous réserve que cette décomposition soit conforme à la lettre de l'article précité.

Il en a très justement conclu que, le contrat étant irrégulier, la procédure de passation était nécessairement irrégulière, puisqu'elle aurait abouti à la conclusion d'un contrat dont la régularité aurait pu être remise en cause dans le cadre d'une action en contestation de la validité du contrat.

***

En conclusion, l'arrêt du Conseil d'Etat du 29 avril 2015 est enrichissant en ce qu'il consacre une nouvelle extension des pouvoirs du juge des référés en lui permettant de se prononcer sur la validité du contrat, ce point constituant un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence. Ainsi, l'irrégularité d'un contrat a-t-elle pour effet d'entraîner l'annulation de la procédure de passation dudit contrat. 

Cette jurisprudence aura vocation à s'appliquer à d'autres contrats susceptibles d'être considérés comme irréguliers. Cette décision va dans le sens d'une simplification des contrats complexes, simplification attendue dans le cadre de l'ordonnance relative à la réforme des marchés publics, dont l'objet est la transposition des Directives communautaires intervenues en 2014 en matière de marchés publics (5).

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