octobre 2013 | LEXBASE

Emprunts, Code des marchés publics et Directive communautaire : retour sur une cohabitation difficile

Frappées par la crise économique qui secoue le monde depuis 2008, les collectivités territoriales ont, pour financer leurs projets les plus divers, de plus en plus fréquemment recours aux services financiers d'établissements bancaires de droit privé. En dépit de l'intuitu personae inhérent à ce type de procédés, la question de la soumission des emprunts au Code des marchés publics anime encore régulièrement les débats au sein des instances nationales et européennes, conduisant à une prise de position oscillant entre soumission et exclusion des règles de passation des marchés publics.

I — Une construction hésitante de la réglementation applicable aux services financiers

Le Code des marchés publics de 2006, issu du décret n 2006-975 du 1er août 2006, portant Code des marchés publics (N° Lexbase : L4612HKZ), toujours en vigueur à ce jour, exclut expressément de l'application des règles relatives aux marchés publics les "accords-cadres et marchés de services financiers relatifs à l'émission, à l'achat, à la vente et au transfert de titres ou d'autres instruments financiers et à des opérations d'approvisionnement en argent ou en capital des pouvoirs adjudicateurs" (C. marchés publ., art. 3. 5 N Lexbase : L1069IRZ).

Par ces dispositions, il est ainsi mis un terme définitif à l'imbroglio juridique qu'avait entraîné la décision "Association pour la transparence et la moralité des marchés publics" rendue par le Conseil d'Etat le 23 février 2005 (1). Aux termes de cette décision, la Haute juridiction, en s'inscrivant dans la logique communautaire de transparence des marchés publics issue de l'article 8 de la Directive (CE) 92/50 du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (N° Lexbase : L7532AUI), avait décidé que tous les contrats exécutés ou en cours d'exécution selon les modalités de la procédure adaptée de l'article 30 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L6005IRT) et n'ayant pas fait l'objet de publicité ou mise en concurrence étaient entachés d'illégalité. Ce faisant, tous les emprunts étaient alors soumis aux dispositions relatives aux règles de passation des marchés publics.

Le décret n° 2005-601 du 27 mai 2005, modifiant le décret n 2004-15 du 7 janvier 2004, portant Code des marchés publics (N° Lexbase : L7651G8U), suivi dans cette ligne de conduite par le décret n 2006-975 du 1er août 2006 précité, est ainsi venu mettre un terme à cette controverse, en se conformant par là-même à l'article 16. d) de la Directive (CE) 2004/18 du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (N° Lexbase : L1896DYU), qui dispose que "la présente Directive ne s'applique pas aux marchés publics de services [...] concernant des services financiers relatifs à l'émission, à l'achat, à la vente et au transfert de titres ou d'autres instruments financiers, en particulier les opérations d'approvisionnement en argent ou en capital des pouvoirs adjudicateurs, et des services fournis par des banques centrales".

Dorénavant, il est donc de principe constant que les contrats de services financiers sont exclus du champ d'application du Code des marchés publics, à l'exception, toutefois, de ceux qui, en vertu de l'article 3. 3, sont conclus "en relation avec le contrat d'acquisition ou de location [de bâtiments ou d'autres biens immeubles], sous quelque forme que ce soit", qui relèvent alors des procédures formalisées de passation de l'article 29 (N° Lexbase : L2693ICQ). En conséquence, le contrat sera qualifié d'administratif lorsqu'il relèvera du Code des marchés publics, sous réserve des éventuelles clauses exorbitantes de droit commun qui y sont insérées ; à l'inverse, il s'agira d'un contrat de droit privé lorsqu'il en sera expressément exclu, sous réserve de clauses attributives de juridiction contraires (2).

II — Une solution fragile, notamment remise en question par les empunts "toxiques"

Pour autant, les distorsions existant entre la position du droit français et celle du droit communautaire en matière de soumission des emprunts aux règles applicables aux marchés publics ne sont, à ce jour, pas résolues. En effet, la Commission européenne semble, malgré la Directive (CE) 2004/18, rester réticente à exclure les emprunts des Directives fixant les règles de passation des marchés publics.

Notamment, la proposition de nouvelle Directive sur la passation des marchés publics, présentée le 20 décembre 2011 par le Parlement européen et le Conseil, pourrait conduire à revenir à la situation antérieure à 2004, en excluant de son champ d'application les marchés publics de services "ayant pour objet des services financiers liés à l'émission, la vente, l'achat ou le transfert de valeurs mobilières ou d'autres instruments financiers au sens de la Directive (CE) 2004/39 (N° Lexbase : L2056DYS), des services fournis par des banques centrales ou des opérations menées avec le Fonds européen de stabilité financière" (article 10. d). La référence aux "opérations d'approvisionnement en argent ou en capital des pouvoirs adjudicateurs" a disparu, laissant ainsi présager la soumission des emprunts aux règles relatives à la passation des marchés publics.

En tout état de cause, cette évolution est conforme aux principes édictés par l'Accord sur les marchés publics, seul accord juridiquement contraignant de l'Organisation mondiale du commerce, qui exclut également de son champ d'application les "marchés des services financiers relatifs à l'émission, à l'achat, à la vente et au transfert de titres ou d'autres instruments financiers, ainsi que des services prestés par des banques centrales" (Appendice 1, Annexe 4). Les emprunts relèvent donc du champ de l'Accord sur les marchés publics.

La France paraît elle aussi être désireuse d'assainir les procédures de passation des contrats d'emprunt, dès lors que certaines de ses collectivités se trouvent actuellement frappées par la problématique dite des emprunts "toxiques", prêts aux taux variables indexés sur des indices très volatiles, qui conduisent ces collectivités à payer des taux d'intérêts extrêmement élevés. A la suite du rapport déposé, le 6 décembre 2011, par la commission d'enquête parlementaire créée en vue d'étudier les "produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux", il a été préconisé que les emprunts demeurent non soumis au Code des marchés publics ; pour autant, la commission a jugé souhaitable que "la souscription des emprunts des collectivités territoriales [respecte], dans tous les cas, les principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures suivies par les personnes publiques".

Qui plus est, la Cour des comptes avait déjà, à l'occasion de son rapport sur la gestion de la dette publique locale de juillet 2011, laissé entendre que, pour pallier le problème croissant des emprunts "toxiques", une soumission au Code des marchés publics de ce type de marchés était nécessaire.

C'est pourquoi, dans cette dynamique, une proposition de loi relative au développement, à l'encadrement et à la transparence des modes de financement des investissements des acteurs publics locaux a été déposée le 21 février 2012. Celle-ci s'articule autour de trois grands axes :

— encadrer les modalités de prêts des collectivités territoriales et de leurs établissements publics, en particulier lorsque ceux-ci présentent des risques importants ;

— améliorer l'information des élus locaux ;

— étendre le contrôle de légalité à l'ensemble des contrats de prêt, qu'ils soient de nature publique ou privée

Cette proposition a été renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, sans que, pour l'heure, celle-ci se soit prononcée.

En conclusion, les emprunts, de quelque nature qu'ils soient, demeurent pour l'heure exclus de l'application du Code des marchés publics en droit national comme en droit communautaire. Cependant, la récente décision du tribunal de grande instance de Nanterre (3), qui a procédé à l'annulation des taux d'intérêt considérés comme usuraires de trois prêts qui avaient été octroyés à un conseil général, pourrait bien amorcer un mouvement de résistance de la part des juges du fond. Reste à savoir si cette position sera suivie par la cour d'appel de Paris saisie de ce dossier le 4 avril 2013.

Une prise de position du législateur national comme communautaire dans le sens d'une soumission définitive des emprunts au Code des marchés publics devient de plus en plus nécessaire pour que cesse cette incertitude juridique.

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